La ville européenne entre 1884 et 1892

La médina, dont P. Lambert écrivait en 1912 : " Les touristes éprouvent une grande satisfaction de curiosité à visiter notre ville arabe, restée si couleur locale, si orientale, avec ses rues étroites, ses souks, ses marchands arabes et israélites qui, les jambes croisées, dans leurs petites boutiques, attendent avec tant de calme l’acheteur ayant besoin d’un burnous, d’une gandourah, d’une paire de chaussures faites de cuir jaune ou rouge et qui font le bonheur des amateurs de choses exotiques…… "  n'ayant que peu ou prou changée, c'est à l'essor de la ville, dite européenne, et au développement des diverses activités sfaxiennes de tous ordres, à partir de la date de 1881, que nous allons maintenant nous intéresser.

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SFAX vue par L. Piesse 
puis par Charles Lallemand

En ce début des années 1880, on ne pouvait arriver à Sfax que par la route (ou plutôt la piste) ou par voie maritime. Dans le Bulletin de la Société Géographique et d'Archéologie d'Oran, le compte rendu de la séance inaugurale solennelle du 5 mars 1885, contient un article de M. L. Piesse, intitulé "de La Goulette à Tripoli" où il relate son voyage effectué (vraisemblablement fin 1884-début 1885, l'article n'étant malheureusement pas daté) à bord du steamer "Dragut".

En mer, en vue des côtes tunisiennes, à bord du Chanzy en avril 1900 
( photo Acary et Reymond - Voyage d'études en Tunisie R. Rey - Coll. Ch. Attard)

Au sujet de l'escale de Sfax, il dit qu'étant monté sur le pont, après que le navire eut jeté l'ancre, il vit se profiler devant lui à 2 milles, dans le soleil levant, une longue ligne blanche surmontée de minarets.

Lui et ses compagnons de voyage entrèrent à Sfax par le quartier franc dont la rue principale était bordée de boutiques et de cabarets (ce devait être l’ex Strada Reale devenue la rue de la République). A gauche de cette rue se trouvait une chapelle desservie par des pères capucins, et une infirmerie tenue par des sœurs de Saint-Joseph.

Jusqu'en août 1884, date où il fut sacré évêque, le curé de Sfax était un capucin maltais : Antoine Marie de Malte (Buhagiar). Il fut remplacé par un autre capucin : Pierre Paul de Malte, qui, en 1885, céda sa place à un prêtre séculier, nommé par le cardinal Lavigerie, Archevêque de Carthage: Spiridione Polomeni, qui, sacré évêque en 1892, n'en restera pas moins attaché à la paroisse de Sfax jusqu'en 1904. L. Piesse dit que la chapelle surmontée d'un dôme n'a rien de remarquable, et qu'elle est attenante au bâtiment dans lequel logent les pères capucins. Il n'en a vu que deux, un gras et un maigre, qui lui ont offert le café d'usage et donné quelques souvenirs archéologiques trouvés aux environs de Sfax.

Le quartier franc était séparé de la ville arabe par une muraille crénelée construite vers 1830, percée de trois portes donnant vers l'extérieur et d'une quatrième vers la ville arabe. Il a trouvé que l'intérieur de Sfax n'avait rien de remarquable : rues petites, souvent voûtées et sales, avec ça et là quelques boutiques traditionnelles.

Sur cette très vieille photographie, datant de 1875, on découvre la Strada Réale, au fond on aperçoit la porte Bab Kobli, démolie après 1881.
(Cliché Alfred Avvocato)

Les abords immédiats de la ville lui apparurent arides et sablonneux, mais il y a vu de très belles citernes destinées à l'alimentation en eau de la ville. A 3 km à l'ouest, lui et ses compagnons sont entrés dans de magnifiques jardins, clos par des tabias, dont les arbres portent tout à la fois des fleurs et des fruits. Les maisons de plaisance carrées, sans fenêtres extérieures (il dit : "de vraies maisons arabes"), se trouvent au milieu de ces jardins contenant chacun de profonds puits d'où l'eau est prélevée au moyen d'un treuil pour être acheminée vers les plantations. Pour revenir en ville, ils ont emprunté‚ une route traversant de nombreux cimetières. Le même auteur écrit dans le guide Joanne de 1891, que le mur qui enserrait la ville européenne, près de la mer, a été jeté par terre, et qu’un boulevard bordé d’arbres, créé par le génie, relie le port au camp militaire construit à l’angle nord-est de la médina.

Plusieurs petits marabouts jalonnent l'ancienne nécropole. 
(CPA ND photo - Coll. G. Bacquet)

(CPA LL. N°17 - Coll. Ch.Attard)

Dans son livre "La Tunisie, pays de Protectorat français", paru en 1892, Charles Lallemand dit qu'en 1891, les documents officiels faisaient état à Sfax d'une population totale de 45 000 âmes, composée de 40 000 Arabes (ville et jardins), 2 300 juifs indigènes, 1 200 Maltais, 435 Français, 400 Italiens, 40 Grecs, 10 Anglais, 15 Autrichiens, Suédois et Espagnols, et d'une garnison de 600 soldats. Il ajoute que tous les services administratifs sont dans la ville européenne, où vivent quasiment tous les Européens car les rues voisines du port sont droites et bien aérées par la brise marine. 
Le camp militaire, composé  d'excellents
baraquements en maçonnerie pour lesquels ont été utilisées les pierres provenant de la démolition du mur précité, est situé sur le front nord-est des remparts. Devant le cercle militaire (au sud-est) se trouvait une vaste esplanade d'environ 200 m de côté à l'extrémité de laquelle se situaient le bâtiment de la douane et les quais de débarquement du tout premier port. (Ces terrains ont été gagnés sur la mer après la visite de L. Piesse). 
Il
signale que presque tous les magasins d'éponges et de poulpes se trouvaient sur le boulevard de la Marine. Il avait constaté que dans la rue centrale de la ville franque, conduisant à la médina, régnait une animation extraordinaire, et que l'on y côtoyait des gens de toutes provenances. Au nord, entre les remparts et la plage, existait un grand entrepôt d'alfa, matière destinée à l'exportation vers l'Europe.

Le guide Joanne Algérie Tunisie de 1891 signale l’existence, à Sfax, de deux hôtels : " Compolo " et " de France ", de deux restaurants : " Ducos " et " Lagarde ", et de trois cafés : " Martin ", " Carmans " et " Mauguin ". Un service de poste et de télégraphe était déjà opérationnel.