L'accession à l'indépendance (1)

Comme nous l’avons déjà dit, toutes ces ethnies vivaient en assez bonne harmonie, et une certaine convivialité régnait même en leur sein. La situation politique étant ce qu’elle était, et sauf émergence d’un conflit ouvert, ce qui advint de novembre 1952 à août 1954, les membres des deux communautés en présence, respectaient d’un accord tacite des parenthèses de silence. C'était le cas en particulier les Tunisiens, hommes de jugement et de modération qui n’ignoraient pas que leurs concitoyens venus d’ailleurs n’étaient, en aucune manière, responsables du fait accompli, même si certains de ces derniers, en priorité et à qualification égale, occupaient des situations privilégiées. 
Cependant il existait deux points de vue diamétralement opposés. Les ressortissants de la puissance colonisatrice se disaient : " pourquoi vouloir changer quelque chose à la situation existante, puisque l’on s’y trouve bien ? ". Les Tunisiens, quant à eux, même s’ils reconnaissaient les apports positifs amenés par la colonisation et savaient en profiter, gardaient en mémoire les évènements liés à la prise de Sfax en 1881 et estimaient qu’ils devaient être les maîtres dans leur pays. C’est en ce sens qu’ils avaient compris que la formation, par l’intermédiaire de l’école française, d’une élite intellectuelle dans leurs rangs, pourrait être très utile pour l’avenir de leur pays.

Les mouvements patriotiques tunisiens prirent naissance dans les années 1920, et les Sfaxiens y adhérèrent sans hésitation. Leur volonté fut encore accrue après la tenue du congrès de Ksar Helal, fin février – début mars 1934 grâce à l’impulsion dynamique imprimée par son leader Habib Bourguiba (né le 3 août 1903 à Monastir), à l’action du Destour, parti libéral constitutionnaliste créé en 1920 et réclamant la fin du Protectorat et l’octroi d’une constitution, qui devint alors le Néo Destour. Hedi Chaker, diplômé de commerce et commerçant né en 1908, de par ses positions en pointe à Sfax, y présida la délégation de cette ville.

Ce qui allait devenir la puissante U.G.T.T., naquit en 1924, à l’état embryonnaire à Sfax, et plus précisément parmi le personnel tunisien de la Compagnie du Sfax-Gafsa, en parallèle à la C.G.T.. 
L’U.G.T.T. fut interdite en 1925, mais un syndicat tunisien plus ou moins fantaisiste subsista à Sfax. Les syndicats sfaxiens affiliés à la C.G.T. étaient dirigés par Farhat Hached que l’administration avait détaché de ses fonctions d’agent des Travaux Publics, pour qu’il puisse s’occuper du travail syndical. Pour le Congrès départemental de la C.G.T., qui en 1944 à Tunis devait voir le renouvellement du bureau, les délégués sfaxiens avait posé la candidature de F. Hached en remplacement de Daly au poste de secrétaire adjoint.

Quand les Sfaxiens arrivèrent en séance, ils apprirent que les tunisois avaient déjà réglé la question dans un autre sens. Ulcéré, F. Hached quitta la C.G.T. pour s’occuper du syndicat tunisien qui végétait, faute d’organisateurs. Il y fit le ménage, et entouré par une équipe de Kerkenniens, il le fit prospérer. Il en confia la direction à Habib Achour.

Certains nationalistes tunisiens qui avaient bien accueilli les occupants allemands, s’enfuirent ou furent arrêtés après la libération de la Tunisie. H. Bourguiba, qui avait été arrêté en avril 1938, suite à une émeute à Tunis, n’en faisait pas partie et il fut libéré car il avait refusé la proposition des Allemands de prendre la tête d’un gouvernement tunisien sous leur Protectorat. Il fut alors libéré. En 1943, il y eut une rupture totale entre le Néo Destour, laïque, moderniste et démocratique, dont le but était l’indépendance tout en conservant de bonnes relations avec la France, et le vieux Destour regroupant les traditionalistes fidèles aux préceptes politiques et religieux de l’islam. Par un manifeste, le Front tunisien réclama l’autonomie interne en février 1945, et lors d’un congrès clandestin, les nationalistes réclamèrent l’indépendance le 25 août 1946.