L'accession à l'indépendance (2 et fin)



En 1947, la situation du travail n’étant pas brillante à Sfax, un fort chômage y sévissait. Le premier objectif choisi par l’U.G.T.T. fut la Compagnie du Sfax-Gafsa, et l’objet de la première manifestation planifiée pour le 5 août 1947, était d’empêcher le départ de l’autorail pour Tunis. Au rassemblement matinal des syndicalistes aux abords de la voie ferrée, se joignirent de très nombreux sans travail. Un syndicaliste français (Henri Chalon) fit remarquer à Habib Achour le danger d’une telle concentration à moins de 100 mètres de la caserne du 4e spahis. Cela ne fit que renforcer le dirigeant syndicaliste tunisien dans sa certitude. Les pierres du ballast ne purent rien contre les balles des automitrailleuses de l’armée. Celles-ci, après avoir été éloignées en début de rassemblement, étaient revenues lorsque la manifestation dégénéra sous la pression des sans travail. Il y eut 30 morts et de nombreux blessés.
Par contrecoup, début août, eurent lieu des pillages de boutiques israélites et des agressions en ville sur des personnes isolées, dont le curé de la paroisse, l’abbé Maurice Perrin. (Voir l'article de Tunis-Soir.)
Habib Achour figura parmi les blessés tunisiens de la manifestation.
 
Une fois soigné et guéri, il passa en jugement en 1948 avec d’autres leaders syndicaux de l’U.G.T.T., coupables aux yeux de l’autorité, d’avoir organisé une manifestation ouvrière ayant porté atteinte à la sécurité de l’État, et d’avoir aussi participé à un complot politique. A preuve, il y avait eu 30 morts et des dizaines de blessés, tous par balles ! Il fallait désigner des coupables, qui ne pouvaient évidemment se trouver que parmi ceux ayant essuyé le tir des armes à feu. Le procès eut lieu dans une salle de 1er étage de la salle des fêtes de Sfax, transformée en tribunal d’exception. Opposé aux nombreux témoins à charge, un seul témoin à décharge, le syndicaliste français précité, qui par son calme, sa très grande objectivité, sa lucidité et sa pondération, démolit les témoignages à charge. Malgré cela, les syndicalistes tunisiens furent condamnés, et Habib Achour quitta l’hôpital pour la prison, avec une condamnation à 8 ans d'incarcération.




En janvier 1952, présidant le congrès du Néo Destour tenu dans la clandestinité, Hedi Chaker décide le soulèvement armé. Considéré comme le cerveau de ce parti en l’absence d’Habib Bourguiba, mis en résidence surveillée dans l’île de la Galite, il est incarcéré en mars 1953. Entre temps Farhat Hached avait été assassiné le 5 décembre 1952. Après son élargissement, Hedi Chaker subit le même sort, et il fut inhumé à Sfax le 11 septembre 1953. Dans la documentation en notre possession, ces deux assassinats sont attribués à " la Main Rouge ", groupe formé de colons extrémistes. 

S’en suivit une période d’insécurité entretenue par les " fellaghas ", qui par petits groupes de 15 à 30 commirent des sabotages, firent des victimes civiles et s’accrochèrent avec les forces françaises qui, du 1er janvier 1952 au 31 décembre 1957 perdirent 246 soldats (combats, maladies, accidents). 

"Les Nouvelles sfaxiennes"  
n° 817 du 16 septembre 1953




Les pertes tunisiennes furent encore plus élevées, du fait des combats contre l’armée française et des attentats de représailles de " la Main Rouge ". A Sfax on assista à quelques mouvements de grève des élèves dans les collèges. Ils refusaient d’entrer en cours, mais sans animosité aucune vis-à-vis de l’autorité des établissements qu’ils respectaient d’autant plus qu’elle était justifiée et équitable. C’est à contrecœur que les directeurs se résignaient à appeler l’armée pour faire cesser de tels mouvements de protestation.







Faisant suite aux conventions franco-tunisiennes concernant l’autonomie interne signées le 22 avril 1955 à Paris, puis solennellement le 29 mai par Edgar Faure et Tahar ben Amar, et ratifiées en Tunisie le 27 août et à Paris le 31 du même mois, l’accord diplomatique permettant à la Tunisie de recouvrer sa totale indépendance fut paraphé à Tunis le 20 mars 1956 par MM. Seydoux et Bourguiba.





"Les Nouvelles sfaxiennes"  n°1022 du 3 septembre 1955 (Archives Ch. Attard)




Après la proclamation de l’indépendance le 20 mars 1956, les Européens de Sfax ne furent victimes d’aucune animosité, et pourtant la ville avait eu deux martyrs en la personne de Farhat Hached et d’Hedi Chaker. 





(Photo Gilbert  Bacquet)




La fête de la Victoire fut célébrée à Sfax le 1er juin 1956. Différents groupes de jeunes (filles et garçons), de militaires, précédés par une fanfare, défilèrent dans les rues du centre ville et au pied des remparts. 

Ce début de l’été 1956 marqua le départ définitif de quelques Européens, remplacés par des Tunisiens dans les postes de direction qu’ils occupaient, et d’une partie de la communauté juive. A Sfax, comme dans tout le Maghreb, les mois suivants furent marqués par de nombreuses grèves et des incidents.





(La Dépêche tunisienne du 24 octobre 1956) (Archives Ch. Attard)




Mais, c’est suite aux évènements de Bizerte en juillet 1961, qu’eut lieu le grand exode et où de nombreux Européens (et ce n’étaient pas ceux qui, suivant l’expression usitée, avaient fait "suer le burnous") furent contraints de partir dans la précipitation avec un strict minimum d’objets et de bien personnels. Leur accueil en Métropole fut très loin de ce qu’ils étaient en droit d’attendre, surtout quand ils n’y avaient ni famille ni amis.


Habib Bourguiba